16. Le père de Marilou

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En prison, Harold tente de s'intégrer à un groupe d'échange. Il va voir ensuite l'animateur. Celui-ci veut apprendre à mieux le connaître et lui fait raconter son itinéraire de vie.

Flash non supporter.

Le père de Marilou (Harold) garde le silence dans un groupe d'échange

Le père de Marilou a été condamné à quinze mois de prison. Il a peut-être une chance d'abréger sa peine en suivant une thérapie. Il a donc demandé à faire partie d'un groupe.
Chacun parle à tour de rôle.
Animateur - Et vous, Harold, avez-vous envie de nous dire quelque chose ?
Harold - Je sais pas.
Anim - Vous n'êtes pas obligé.
Harold - Y a rien qui me vient à l'esprit.
  Pendant plusieurs rencontres, le même scénario se répète : Harold garde le silence. Un jour, alors que tous les participants se sont exprimés, l'animateur dit :
Anim - Alors, Harold, avez-vous quelque chose sur la langue aujourd'hui ?
Harold - Moi, je suis ici parce que j'ai été trop violent. Je sais que je mérite d'être ici. Mais en même temps, je m'en fous. C'est à moi que ça arrive mais je me sens pas concerné. Je fais mon temps.
Anim - Quand vous allez sortir, comment pensez-vous que vous allez être ?
Harold - Comme je suis là.
Anim - Quand vous allez retrouver votre milieu de vie, vous allez faire ce que vous faisiez avant ?
Harold - (Silence) Quand je dis que je m'en fous, c'est pas rien qu'une façon de parler. Quelqu'un pourrait arriver devant moi en me disant « si tu continues à t'en foutre, tu vas tomber raide mort dans une minute», ça me dérangerait pas pantoute. Le coeur me débattrait même pas.
Anim - Personne ne va venir se planter devant vous avec la mort sur un plateau. Vous êtes pris pour continuer à vivre. Vous êtes pris pour sentir votre cœur battre. Jusqu'à maintenant, quel genre de vacarme avez-vous fait dans votre vie pour ne pas l'entendre ?
Harold - (Silence)
Anim - Je vais énumérer certaines choses. Vous pourrez me dire si ça constitue pour vous une façon de masquer les battements de votre cœur : La violence contre les autres ?
Harold - (Silence)
Anim - Le refus de prendre ses responsabilités ?
Harold - (Silence)
Anim - L'alcool, la drogue ?
Harold - (Silence)
Anim - Le jeu ?
Harold - (Silence)
Anim - La fuite ? On fugue pendant des jours ? Les enfants s'arrangeront, la bonne femme s'arrangera…
Harold - (Silence)
Un participant - Moi aussi, j'ai déjà été comme lui. J'en voulais à tout le monde, j'avais envie de tout démolir. Des fois, c'était le contraire : je me foutais de tout, y avait plus rien qui m'affectait. Mais ça revenait au même : la rage, chaude ou frette, c'est toujours de la rage.
J'ai fini par comprendre que c'était à moi que j'en voulais et que c'est moi que je démolissais. C'est là que j'ai commencé à changer. Pas encore assez, parce que je suis revenu ici. Mais cette fois-ci, je me suis promis que c'est ben la dernière fois.

On reçoit des nouvelles du groupe en France

Flash non supporter.

Adressé à : La Maison des Jeunes

Bonjour,

. Nous sommes présentement au centre de la France. Nous avons visité Paris, Versailles et le château de Chenonceau. On loge dans des auberges de jeunesse et on rencontre des gens venus de partout.
On s'est baigné et on a fait du vélo. Demain, on rencontre le frère de M. Berthelot, qui est le maire de son village. Ensuite, on s'en va vers le sud.

On pense à vous-autres (mais seulement de temps en temps - ah! ah! ) et on souhaite à tous les autres jeunes de faire un voyage comme ça.

. Béatrice, Simon, Waban, Karine, Conrad, Jason, Valentine, Éric, Marilou, et tous les autres.

L'histoire du père de Marilou

Harold est en prison depuis maintenant presque un an.


Anim - Vous avez demandé à me voir.
Harold - Oui. Je me sens pas toujours à l'aise en groupe. Les mots me viennent pas vite.
Anim - Parlez-moi un peu de votre histoire personnelle. Vous venez d'où ? Où avez-vous grandi ?
Harold - Moi, je suis un Indien. Quand j'étais enfant, on passait l'été dans le bois et on y retournait souvent à l'automne pi au printemps. Des fois, mon père travaillait à des jobines en ville, il allait dans les chantiers aussi. On voyait pas trop la couleur de l'argent parce qu'il buvait pas mal. Mais on allait à la pêche, on chassait pi quand venait le temps des bleuets, on faisait de la cueillette pour nous-autres pi on vendait le reste. L'automne on faisait des provisions pour l'hiver et avec le chèque du Bien-être, on arrivait à se débrouiller. Quand elle pouvait avoir de la peau d'orignal, ma mère faisait des mocassins qu'elle vendait. J'allais à l'école dans ma communauté, la réserve comme ils disent. J'aimais ça parce que ça me changeait de la maison. Autrement, moi, c'est dans le bois que j'étais ben.
Mes troubles ont commencé en quatrième année. J'avais une maîtresse qui venait de l'extérieur. Elle, elle était plus à cheval sur la discipline et plus exigeante. On comprenait pas toujours tout ce qu'elle disait, parce qu'elle parlait rien qu'en français. Ça fait que je suivais moins bien et je trouvais ça plate.
Anim - Avant la quatrième année, c'était comment ?
Harold - On avait des maîtresses indiennes. Elles nous enseignaient en français, avec des livres en français, mais quand on avait un problème, elles parlaient en indien.
Anim - Ah! bon.
Harold - Je suis devenu assez tannant. Je me faisais mettre dehors de la classe. Ma mère me disait de me tenir tranquille mais mon père lui, il riait de ça. Il avait été au pensionnat pi il haïssait l'école. Une fois, ils m'ont renvoyé pour trois jours. On était au printemps. Des vraies vacances : il faisait beau, j'allais dehors, je rentrais dans la maison, je ressortais, j'écoutais la radio.
Le troisième jour, mon père en a eu assez. C'te journée-là, il était pas mal réchauffé. Il m'a agrippé en me disant «Toi, je veux plus te voir la face icitte les jours de classe», pi il m'a sacré une paire de claques dans le visage. J'en ai eu des marques.
Anim - Est-ce que ç'a changé quelque chose ?
Harold - Je me suis plus jamais fait mettre dehors. Mais en dedans de moi, je me suis mis à haïr l'école pi tout ceux qui avaient un rang d'autorité.
Anim - Ça veut dire pratiquement tous les adultes de l'école.
Harold - Euh… ouais. Je suis devenu agressif. Je me battais souvent. Les maîtresses avaient quasiment peur de moi.
Anim - Au fond, c'était une façon de vous venger de votre père.
Harold - Peut-être ben.
Anim - Aviez-vous des problèmes scolaires ?
Harold - Ben, malgré tout je réussissais pas trop mal parce que j'avais une sœur aînée qui était bonne à l'école pi qui me donnait un coup de main des fois dans mes devoirs. Je me réchappais comme ça. Rendu au Secondaire, on m'a envoyé à l'école en ville.
Anim - Comment ça s'est passé ?
Harold - Mon père, quand il était saoûl, il radotait toujours la même chose : «Nous-autres, les Indiens, on vaut pas cher». «Nous-autres, les Indiens, on vaut pas cher». Moi, je pensais qu'il voulait dire que par nous-autres mêmes, on valait pas cher. À l'école, j'ai compris que ça voulait plutôt dire : pour les autres, on vaut pas cher.
Quand je suis arrivé là, j'étais en retard de presque trois ans sur le reste de la classe. Je comprenais rien de ce que je lisais. Le prof me donnait des cahiers de 4e année. Je faisais du cahier toute la journée. Je passais pour un débile. «Lui, il est pas pareil comme nous-autres. C'est un Indien. C'est normal qu'il soit de même.»
J'aurais ben voulu, moi, les voir dans le bois l'hiver, c'te gang de génies-là : ils seraient morts de frette avant d'avoir eu le temps de pisser. Aujourd'hui, les enfants ont un peu plus d'aide, dans le temps y en avait pas.
Anim - À part le prof, quel genre de relations aviez-vous avec les autres ?
Harold - Je me faisais écoeurer souvent. Je disais rien. Mais une fois, y en a un qui est venu me baver d'un peu trop proche dans la cour de récréation. Quand je l'ai lâché, il était plus en état de baver personne. Ses parents ont rebondi à l'école : «Nos enfants se font défigurer par des Sauvages. On endurera pas ça.» J'ai été suspendu de l'école pendant deux semaines. Mais moi, quand je me faisais tabasser, c'était après l'école, ça fait qu'il y en avait jamais de suspension.
Après ça, j'ai eu la paix, mais tout le monde s'est mis à m'ignorer. Personne me parlait, personne me regardait. Là, je valais encore moins cher que pas cher, j'existais plus.

À l'école secondaire, diriez-vous qu'Harold a subi du racisme ?
Non.
Les élèves marginaux ont malheureusement souvent ce genre de problème.
Oui.
Il était victime de harcèlement parce qu'il était Indien. Des parents parlaient de lui comme un Sauvage.

Anim - Vous ne parliez jamais à personne ?
Harold - Pendant un bout de temps, j'ai eu un copain. Lui aussi, il était marginal. L'été, il venait pêcher dans mon coin avec son père. Fait qu'il savait d'où je venais pi il aimait le bois. On parlait de ça. Mais à la fin des classes, sa famille a déménagé dans une autre ville et je l'ai plus revu.
L'année d'après, j'ai toffé jusqu'à Noël. Pendant les vacances, j'ai dit à mes parents « j'apprend rien pi je fais rire de moé. Je retourne plus là ».

Que peut-on dire du parcours scolaire d'Harold ? VRAI FAUX
Il n'a pas eu toute l'aide dont il aurait eu besoin.    
Il manquait de persévérance.    
Son père aurait dû l'encourager à mieux faire.    

Anim - Dure expérience ! Vous aviez quel âge à ce moment-là ?
Harold - J'avais quatorze ans et demi.
J'ai repris ma vie dans le bois. Mais après un an, j'ai commencé à m'ennuyer. Dans ma communauté, il y avait pas vraiment de quoi pour m'occuper. Je suis retourné chez mon oncle en ville. Il m'a amené chez un vieux monsieur qui avait un atelier de menuiserie et qui se cherchait quelqu'un pour l'aider un peu. J'ai travaillé là presque trois ans. Ç'a été un peu mon école de métier. Avec la vie dans le bois, c'est là que j'ai appris le plus gros de ce que je sais faire. Je m'entendais ben avec ce vieux-là.
Anim - Êtes-vous retourné à l'école finalement ?
Harold - Ben, entretemps, j'avais rencontré ma blonde. Je montais dans ma communauté deux fins de semaine par mois. Je m'étais fait à l'idée de retourner à l'école, mais elle est tombée enceinte. À mesure que sa grossesse avançait, elle voulait que j'aille rester avec elle. Moi, j'aurais préféré continuer à travailler et monter seulement les fins de semaine. Mais je comprenais qu'elle veuille m'avoir avec elle. Moi aussi je voulais.
Anim - Ça devait être une décision difficile.
Harold - Oui. Je me sentais tiraillé. Finalement, je suis allé rester avec elle.
Le bébé est arrivé. On vivait chez mes parents. J'allais dans le bois. Mais je m'ennuyais de ma job. Y avait rien pour moi dans la communauté. Et là, ben, de temps en temps je prenais un petit coup avec mon père. Un jour, j'ai pris ma première vraie brosse : une semaine complète sur la go.
Anim - Méchant lavage de boyau !
Harold- Après ça, j'ai décidé de retourner travailler en ville, peu importe ce que ma blonde dirait. Le vieux avait fermé boutique, parce qu'il pouvait pas continuer tout seul. J'ai trouvé une autre job.
J'avais toujours l'idée de retourner à l'école pour avoir un diplôme en menuiserie. Mais un soir, il y a un gars au travail qui m'a amené au bar. On a pris deux trois bières et à un moment donné, il a sorti un sachet de poudre blanche et il a fait deux lignes de coke, une pour lui, une pour moi. Plus tard, j'ai compris que c'est à partir de là que ma vie avait commencé à basculer.

Anim - À cause de quoi ?
Harold - À cause de la drogue.
Anim - Ok, Harold, on va reprendre ça la prochaine fois. J'en connais maintenant un peu plus sur vous.

Une carte postale pour Harold

  Bonjour Papa,

Je suis en France avec mon groupe de la Maison des jeunes. On fait un super beau voyage. J'espère que tu vas bien. J'espère aussi qu'un jour, on va être une vraie famille.

Ta fille, Marilou